De lesbienne vivant en cishétéro
L'hétérosexualité, la cishétérosexualité me terrifie. Le catholicisme aussi, et ici ça va ensemble. On m'a dit beaucoup de choses, en grandissant, mais par‑là j'entends la majorité passée également, j'ai à peine la vingtaine. D'abord, il n'existait que cela, des cishets. J'ai eu tendance à dire que ne me suis jamais vraiment placé dans cette catégorie de moi‑même, avant même d'avoir les mots pour parler de genre et de sexualité. Ma sœur elle‑même m'avait confié avant de savoir quoi que ce soit sur la transidentité et surtout sur la mienne, que je lui avais ouvert les yeux, de ma simple existence, sur la rigidité superflue des cases fille et garçon binaires. Il y a toujours eu quelque chose. Mais je me suis fourvoyé pendant très longtemps sur l'absence de discrimination queer‑related dans ma vie. Incapable de relate aux struggles des transmascs, encore moins ceux des lesbiennes, je me suis pensé cette espèce de mélange confus entre chanceux et isolé. Incapable de relate aux joies non plus, d'ailleurs. Mais la vérité, c'est que je me rends compte d'à quel point tout ça résonne très fort avec moi et je sais pas, peut‑être que je m'en rendais pas compte, peut‑être que je me mettais des œillères. J'avais un peu abordé ça ailleurs il y a un an.
Mais c'est plus profond que ça. Je suis terrifié. Terrifié de ne pas avoir le choix que le mariage, avec un mari, un mari avec qui on devra être d'accord, avoir des enfants qu'il nommera, vivre dans une maison ensemble, présentée à la famille, faire à manger. Terrifié du soutien‑gorge dont on me parle depuis peut‑être la Sixième et où je réussissais à passer entre les mailles de la conversation pour fuir, même chose à me parler d'épilation des aisselles comme solution aux odeurs corporelles, du maillot, de la pudeur, de la modestie. Terrifié des cachets de didrogestérone qu'on m'a imposés sans m'expliquer que c'étaient des hormones tout en me martelant à chaque fois que ce sera bien de passer à la pilule, de la puberté aux alentours de mes 10 ans, de mes menstrues à 11. Quand j'ai eu mes premières règles, je n'ai rien fait. Littéralement rien, j'ai remis ma culotte qui me mettait tout aussi mal à l'aise alors même que quand j'étais plus jeune j'avais des boxers que j'adorais, et je me suis dit que ça passerait. Je savais pas vraiment ce que c'était. Je voulais pas savoir. On m'a dit que j'étais une femme. Sur le calendrier de la cuisine, à mes 15‑16 ans, il y avait inscrit la date de mes règles chaque mois, ou peut‑être la date de la prise des cachets d'hormones, je sais plus, ça revient au même. Scrutinisé, avec un seul choix, et l'envie de mourir depuis mes 8 ans, sûrement. Je mélange plein de trucs. Mes parents étaient pas mariés eux‑mêmes. Ma maman ne voulait pas nous élever dans la religion pour qu'on ait le choix. Mais quand même, ça a toujours été là.
Les enfants, je n'en voulais pas. J'étais très mal à l'aise, je suis assez vite tombé dans des biais adultistes alors même que j'étais encore gosse et que ça n'allait pas me sauver de l'hétérosexualité. La perspective d'être enceinte, aujourd'hui dès que j'y pense, j'ai ce mal‑être vraiment très profond. Au final, quand j'arrivais à être plus honnête, ce qui est venu plus tard, je voulais être oncle/tante, pas mère. Vraiment l'archétype de la tante (/oncle) "hétéro" qui s'est jamais mariée au final, eh ? Je connais personne dans ma famille qui soit queer. Je crois que du coup, même si j'ai connu les LGBTQ+ à peut‑être 11 ans, avec internet, Tumblr, et j'en passe, il y a cette idée qui a flotté qu'ils ne pouvaient pas exister chez moi. Donc tant que je restais avec ma famille, peu importe les épisodes annexes en ligne ou à l'école, j'étais condamné à la cishétérosexualité.
La sexualité et le désir m'ont fait pleurer. Depuis la puberté et dans toutes mes relations. Ça a été une horreur sur ma conscience aussi parce que comment tu peux t'assurer du consentement quand l'idée te fait pleurer. Mais surtout, le seul truc qui m'attirait quand je pensais désir, à la base, c'étaient "les filles", qu'aujourd'hui je dirais plus vraiment comme ça. Je me suis pas dit lesbienne. Je me suis dit homosexuelle, parce que je marquais une distinction entre l'attirance romantique et sexuelle, et surement par lesbophobie interiorisée. Mais de toute façon j'avais honte, alors j'osais même pas me renseigner, regarder, lire. Et puis les filles ça a pas de sexualité, pas de masturbation, encore moins avec d'autres filles. Quand je me suis rabattu sur des pseudos‑désirs hétéros, j'ai seulement pu imaginer le viol. Incapable de m'intérésser à une sexualité hétéro consentie, parce que c'était vraiment le niveau ‑100 de l'excitation ; encore plus honteux de m'intéresser au CNC et de pire en pire en grandissant parce que j'ai construit une conscience plus importante autour des questions de viol que quand j'avais 12 ans. J'ai déplacé ça pour un intérêt pour le BDSM, plus acceptable dans ma tête. Comme j'intellectualise beaucoup, je me suis renseigné sur les différents kinks et autres de la même façon qu'on étudie pour un contrôle à l'école. Auprès de mon groupe de potes en ligne, je sais pas comment on en est arrivé là, mais j'en suis arrivé à performer le rôle de quelqu'un qui non seulement en savait beaucoup sur le BDSM mais qui aussi était intéressé par tout. Et somehow il y avait une vibe de compétition, je devais être celle intéressée par le plus de kinks. J'ai vécu des relations autour de personnes supposément déconstruites qui me disaient elles‑mêmes que la pénétration pénis‑vagin c'était pas tout, c'était même loin d'être le mieux. Pourtant ça a toujours fini par avoir sa place spéciale dans ma relation à elles. Pourtant j'ai eu aucun rapport protégé et j'ai eu mal. C'était plus important d'essayer d'entrer doucement que de penser au lubrifiant ou à me détendre, face à la douleur. Apparemment c'est agréable quand c'est serré. De toute façon j'aimais tout, et je m'en convainquais. Ça a pas aidé à se rendre compte du nombre d'AS que j'ai subies, puisque de toute façon ça ressemblait beaucoup à ce que j'imaginais être le sexe en général. Enfin le sexe lesbien je l'imaginais vraiment très différemment mais j'avais pas le droit d'y penser.
J'avais des seins, avant. Bon, je me suis toujours demandé à quoi je ressemblerais plat, et ça a pas aidé d'entrer dans la puberté aussi tôt, j'étais pas prêt pour ça, et avant d'être un sentiment trans* ça a été un sentiment de vouloir redevenir un enfant "asexué". Mais la vérité, j'étais pas non plus contre, et ça pouvait même être agréable. J'ai commencé à les détester quand j'ai eu mes premières relations. Avec les hormones en plus qu'on m'a forcé à prendre, ça poussait, et j'ai détesté mon corps. Une notion d'obscénité. En même temps que j'écris ça, je me dis qu'il y a aussi eu un aspect racial, forcément. Est‑ce que je regrette la torsoplastie, que je suis incapable d'appeler mammectomie parce que le mot lui‑même me met mal à l'aise ? Je ne pense pas, même si les sensations dans le torse me manquent. Elles reviendront peut‑être. La nullectomie, j'y pense, mais je crois que je regretterais. C'est dans mon cas la culmination d'un idéal asexué et sans sexualité, sans honte, sans culpabilité, sans péché, et incapable d'entrer une relation hétéro. Au fond, si avoir des organes génitaux me dérange, je ne crois pas que ce soit parce que je n'en veux pas, mais plutôt que j'ai honte de leur existence.
Je n'exclue pas être sur le spectre asexuel parce que je ne suis pas certain d'avoir déjà ressenti de l'attirance pour des personnes, mais pour sûr j'ai une libido qui est présente, et l'acephobie dans ma vie a été très corrélée à, découlant de la lesbophobie. Aussi, vu comment je performais aimer tout, et dans l'autogaslight, j'étais persuadé être ouvert et sans gène, mais c'était clairement l'inverse, et mon prof de théâtre m'avait demandé un jour si j'étais gêné par le sujet, parce que ça a dû se voir quand par coïncidence j'ai dû improviser une lesbienne. La sexualité, j'étais capable d'en parler que sur le ton de l'humour au mieux. Sinon, rien n'a jamais franchi mes lèvres. Est‑ce que le BDSM m'intéresse toujours ? Sûrement, dans un cadre lesbien. Pas tout, loin de là, mais en vrai j'ai une idée assez précise de ce que j'aime et de ce que je suis susceptible d'aimer.
La moralité me fait vriller. Être une bonne personne. Le lesbianisme est régressif, le lesbianisme est biphobe, le lesbianisme est transphobe, le lesbianisme est une monosexualité privilégiée et la monosexualité c'est mal aussi. Il faut dire aimer la féminité, pas les femmes ; il faut dire aimer les femmes, pas la féminité. Le lesbianisme n'est pas inclusif, il faut être inclusif dans son lesbianisme ; tu es inclusive, tu n'es pas lesbienne. Encore aujourd'hui, j'ai le cerveau en vrac et je n'arrive pas à bien penser à tout ça. C'est important d'évoluer, je n'ai plus une conception cis‑centrée du lesbianisme, par exemple, j'ai noté des biais raciaux aussi. Mais aussi j'ai ma sexualité et ce n'est pas normal que la "déconstruction" consiste ici à supprimer le lesbianisme. On a essayé de me pousser vers l'étiquette de pansexualité, et j'étais impressionnable, surtout avec des adultes qui avaient l'air de mieux savoir, j'ai repris leurs discours. "Pourquoi te dire lesbienne si au final tu es plutôt pan ?" et tout un tas de choses reprochées à un tas de sexualités et d'étiquettes. Je m'étais défini pan avant de me définir homo, je crois, en tout cas j'ai toujours oscillé, parfois pour des questions de discourse, parfois parce que ça résonnait vraiment, et au final aujourd'hui je me définis comme pan lesbian, et pour revenir sur comment j'aimais les filles, aujourd'hui je dirais que j'aime les lesbiennes. Le les4les a aussi été difficile parce qu'attaqué de toute part, notamment tout un discourse autour de la biphobie, et ça a pas aidé qu'en effet il y ait tout une commu TERF‑adjacente bien biphobe bien golden star lesbian avec qui je veux évidemment pas me mêler. Mais en fait tout simplement, je suis pas les4les en opposition aux bi·e·s, et je les accueille, du moment qu'iels sont aussi lesbiennes.
J'allais dire que j'avais seulement eu des relations queers mais en fait c'est pas vrai, j'ai juste voulu oublier je pense, parce que c'était d'autant plus terrifiant. Et pas seulement le cas du pédo hétéro et homophobe qui m'a littéralement remis dans le placard pendant des années, j'ai déjà vraiment eu un gars de mon âge. Sacré connard misogyne d'ailleurs. Mais peu importe à quel point ça a pu être queer ou non, ça n'a jamais vraiment été lesbien. Et c'est vraiment pas interchangeable avec un sens général du queer. En fait je dis de la merde, j'ai déjà eu des relations avec des lesbiennes, mais seulement en ligne, et avant d'être sexuellement actif. Et pour l'une d'entre elles, j'ai littéralement pris peur et je me suis sauvé. J'en suis désolé d'ailleurs, même si j'aurai jamais l'occasion de m'excuser, ça fait peut‑être 10 ans maintenant. Je me souviens aussi que vers cet âge‑là j'avais dit à ma sœur que je sortais avec ‑ je ne sais pas si j'avais dit une fille, mais au moins pas un mec. Elle avait cru à une blague. Peut‑être que je l'avais dit sur le ton de la blague, vu que j'étais toujours entre m'assumer et pas du tout. En tout cas, c'est resté avec moi. Ce qui n'est pas cishétérosexuel est une blague.
Quand j'ai dit être un mec au collège, les mecs en face ont directement commencer à me parler de sexualité. Hétéro, du coup, en m'incluant comme une blague mais en m'incluant et quand j'ai demandé comment être un mec, ils m'ont dit plein de trucs sur la sexualité. Je voulais pas être une meuf hétéro, mais être le mec dans une relation hét, encore moins. Déjà, comme je l'ai déjà dit, j'étais incapable de le concevoir comme autre chose qu'une forme de viol d'une façon ou d'une autre et si j'avais pas envie d'être dans la position de victime (duh…), j'avais pas non plus envie d'être dans la position de violeur (d u h …). À l'époque du collège où les blagues sur les AS et la pédophilie étaient monnaie courante va savoir pourquoi, j'étais dans une position double où je savais pas où et comment m'intégrer. Je suis certain que j'ai pas été tout rose dans cette histoire et que j'ai dû essayer de me conformer à travers ça aussi, même si je suis tout aussi certain que j'ai dû osciller entre conformisme et opposition. Mais dans tous les cas, avoir recueilli les témoignages de collégiens me confortait dans cette peur au fond de moi : à la question, comment être un mec, c'est quoi être un mec, on me répond, par euphémismes et autres figures de style, qu'être un mec, tout comme être une meuf, c'est participer à une relation de viol. Et moi je voulais mon idéal asexué, mais je comprenais qu'il n'avait plus le droit d'exister après la puberté.
Je me suis tourné vers une forme de spiritualité ou de sorcellerie au collège. Et je suis très premier degré. J'étais pas religieux, surtout pas catholique, je l'ai jamais été, mais la honte, la culpabilité, le péché autour de l'(homo)sexualité me suivent et me collent et me façonnent depuis toujours, et finalement je croyais même pas ce que je pratiquais, mais je voulais y croire, je voulais vraiment y croire, parce que je voulais être sauvé. Puis j'ai voulu être un dieu moi‑même, quelque chose d'au‑dessus, là où le sexe n'existe pas. J'ai vrillé très, très psychotique pendant des années, jusqu'à bien 19‑20 ans, il me semble, par rapport à tout ça. Je parlais à mes fournitures scolaires comme si elles avaient une âme. J'étais peut‑être taré mais au moins j'avais pas à penser à tout ça. Au final, j'y pensais quand même, puisque c'était l'origine même de toute la psychose.
Dans l'intimité, on a continué à me reprocher beaucoup de choses. Déjà, j'avais l'impression que coucher avec moi était une corvée si j'avais envie, une performance si initié à la demande de l'autre. Et j'ai performé, parce que c'était nul. Mais quoi qu'il en soit, il y a deux grandes remarques qui sont revenues, c'est que j'étais égoïste et flemmard. J'ai détesté réciproquer. Déjà carresser de la peau avec mes mains c'est une texture horrible. Ensuite je me rends compte que j'ai des problèmes articulaires sur la mâchoire, je passe à peine deux doigts avec difficulté, a blowjob hurts, et je savais que ça faisait mal même si je savais pas pourquoi, mais comme pour tout, c'était pas important, ou si ça l'était il y avait pas de compréhension que c'était pas temporaire. Et puis le goût est dégueulasse, et je suis potentiellement allergique, et encore une fois, rien de protégé. Les premières fois que ça m'a brûlé et que j'avais à peine 18 ans, j'ai fait des recherches et je suis tombé sur la possibilité que ce soit une IST. Mon partenaire m'a répondu du tac‑au‑tac que c'était impossible. Visiblement, c'était pas ça, en effet. Mais il y avait aucune façon de savoir à ce moment‑là, en vrai. Incapable d'exprimer ce que je veux, j'ai essayé de dire une fois dans la confiance que j'aimais qu'on me donne. J'ai pas pu l'exprimer correctement, la dynamique que je voulais, et aujourd'hui de toute façon je me rends compte que je voulais une dynamique qui est spécifiquement lesbienne ; on m'a dit que quand je restais là à attendre qu'on me fasse, c'était pas bien parce que ça donnait l'impression d'un viol, ou quelque chose dans cette idée‑là. Avec le recul, je comprends pas pourquoi c'était si impossible de me dire simplement que les préférences étaient pas compatibles. Toujours il fallait que je change, avec tout le monde.
Puis il y avait cette idée que le sexe était juste séparé de tout, que le RP au lit ne reflétait absolument rien. Mais faut vraiment pas réfléchir plus de trois secondes pour penser que face à quelqu'un qui a constamment du mal à exprimer ses envies, des RP d'humiliation et de me dire d'avoir honte auraient jamais aucune conséquence sur mon rapport ne serait‑ce qu'au sexe per se. Des grands adultes déconstruits "pro SW" qui te mettent au lit et trouvent instinctivement que le plus dégradant du BDSM ce serait de te dire que t'es une pute, d'ailleurs. Qui prennent ton kink exhib seulement sous l'angle d'une moralité à la "tu devrais avoir honte" et qui dans le même souffle te disent que pour s'adonner à ça, ils pourraient t'aider à ouvrir un OF. Un jour j'en ai pleuré, mid‑rapport, mais ça comprend pas pourquoi parce que c'est que du RP. Et puis pareil, on m'a demandé d'humilier, et j'ai détesté, j'ai détesté répéter toutes ces phrases, j'ai détesté agir comme s'il existait quelque chose d'intrinsèquement humiliant à l'acte.
Aujourd'hui tout ça a de grosses séquelles, et je suis d'autant plus traumatisé de l'hétérosexualité que j'en étais terrifiée. Parallèlement, plus je m'accepte lesbienne et me rapproche enfin d'expériences, de lectures, de media, de communauté, plus je retrouve une aise dans mon genre. Je suis toujours trans*, et ce que j'avais écrit il y a quelques temps sur le vide et la fluidité dans mon genre s'applique toujours. Seulement je trouve une résonance dans la féminité en dehors de ce qu'on m'a présenté, à travers les fem, à travers les fish (que je suis de fait), et à travers les weird girls. En même temps, il ne m'a jamais été aussi clair que mon vécu se rapproche de mes soeurs les dolls, bien plus qu'il s'en éloigne, d'autant plus clair depuis que la perception de mon genre a changé avec la testostérone tout en étant fem, et je cherche à me renseigner davantage sur la misogynoir, transmisogynoir, antitransmasculinité et lesbophobie, particulièrement en tant que Noir·e.
5 décembre
11h18 - 17h59