Sur les rails

    "Tu sais, j'aurais aimé être une aînée acceptable, quelqu'un qu'on puisse écouter."

    Elle me confie ces quelques mots dans l'obscurité de la nuit, quand seuls quelques rayons de lune traversent le rideau léger à la fenêtre du train. Et puis elle rit, elle rit, elle rit aux éclats. Ses jolis yeux ne trahissent pas une once d'insincérité, et si son aveu semblait comme une fulguration, les cernes qu'elle arbore témoignent de la longue réflexion qui l'a menée ici. Je reste silencieuse à contempler les traits de son visage. Ses lèvres à l'apparence si soignée qui complètent ses longs cheveux, et les reflets bleutés du ciel noir qui lui donnent un air d'ange. Elle me murmure ses regrets et moi je reste bête à la trouver belle, comme si je n'entendais pas les mots, comme si elle m'aveuglait.

    "J'aime te parler", elle continue une fois remise de son fou rire, "parce que tu m'écoutes toujours."

    Doucement, presque timidement, je hoche la tête, sans me demander ce qu'elle sous-entend. Elle peut bien me dire n'importe quoi, tant qu'elle me regarde avec ces yeux-là. Mes pensées s'emmêlent, ou je n'ai aucune pensée, parce qu'elle a pris ma main dans la sienne. J'ai beau être capable de percevoir la lourde tristesse derrière tous ses airs gais, je vois d'abord la confiance qu'elle m'a donnée en me demandant de la suivre. Une aura irréelle l'entoure, et moi je suis assise sur le siège voisin, et c'est à ma convenance, donc j'ignore ce que j'entends.

    La liste de ses regrets est courte, comme si épiloguer n'était plus une option. Plutôt, une résolution nostalgique teinte sa voix. Quand elle a conclu qu'elle voudrait s'allonger sur les rails plutôt que de les emprunter, ses mots me sont parvenus aux oreilles, mais elle a pris mon visage entre ses mains, alors ils ne sont pas parvenus à mon coeur. Je bée d'une émotion incompréhensible, et j'en sue, peut-être froid, peut-être chaud.

    "J'aime te parler", elle réitère, "parce que tu m'écouteras toujours."