D'apocalypse et de sens à la vie
J'ai trop de sentiments contraires qui s'affrontent et le monde en flammes n'a que des fragments de sens qu'on transforme en patchwork
Des cadavres et des fêtes, des études et des drogues, et puis on intègre la panique en même temps qu'on se vide la tête, et c'est si absurde
Nos rêves s'emmêlent et pour un instant sors la tête de l'eau quand la solitude ne nous emporte pas
Il s'est passé tellement de choses depuis la dernière fois que j'ai écrit publiquement à propos de philosophie que je ne pourrai pas dire que je partage encore entièrement ces sentiments que j'avais partagés autrefois. Quand je me relis, je perçois des cycles, ou plutôt des spirales : il y a des thèmes qui reviennent, des thèmes importants que j'oubliais, je redécouvre, il y a des acquiescements et il y a des frissons de gêne. Je ne sais pas en quoi je crois, mais je sais que certaines conceptions nihilistes — si j'utilise le mot correctement, j'imagine — me font fondamentalement mal. Je ne sais pas à quel point je m'en éloigne moi-même, à quel point je fais trop dans l'idéal et si je suis assez éveillé — il faut rester éveillé, d'autant plus aujourd'hui, c'est grave — mais il y a un certain genre que je ne peux qu'écouter sans jamais penser de la sorte.
L'ego et le désespoir ne sont pas des choses à anéantir, je ne crois pas. Elles ont leur place, mais quand elles sont à la mauvaise place, elles sont absolument insupportables. Je veux vivre et tout ce que j'intègre semble pourtant se rapprocher d'une fin des temps en agonie. En même temps, en l'exact même temps, je ne peux pas laisser ça décrire entièrement ma pensée, quand bien même c'est un sentiment qui existe, parce que vivant là où je vis dans les conditions que j'ai, je refuse d'abandonner mes adelphes du sud global à des conceptions d'"à quoi bon". La responsabilité, le devoir, le vide existentiel, mais aussi les joies, oui, il en faut, même si elles sont teintées d'une culpabilité certaine et que je pense pas qu'il faille étouffer : elles coexistent toutes, ensemble, en même temps. Je ne sais pas si dans un autre contexte, je ne sais pas si à une autre époque, je ne sais pas s'il aurait été possible de pouvoir intégrer une vision unique et cohérente de la vie. Dans ce contexte, dans cette époque, dans ma vie et dans les identités qui la tissent, je crois que chercher à articuler une seule pensée parfaitement lisse est une perte de temps, une perte d'énergie, et nécessiterait d'abandonner des nuances essentielles qui ne discontinuent.
Je me suis perdu de nombreuses fois en chemin et je doute qu'aujourd'hui soit la dernière. Tout ceci est absolument inacceptable, absolument inacceptable, mais je veux aussi vivre. Je ne devrais pas, je le devrais également. Si "je devrais mourir" a un jour pu être une pensée suicidaire venant du coeur, c'est aujourd'hui une affirmation teintée de politique qui paraît un peu étrange et qui, elle aussi, existe parmi d'autres croyances. Dans ma main, "everything is that deep", dans mon autre, "it's not that deep", à utiliser conjointement avec discernement. Mais il est dangereux de lancer cette pensée sans explications, parce qu'au fond, je pense que même "it's not that deep" est une déclaration analysable et profonde. J'avais déjà exprimé que celle-ci ne devait pas être une excuse pour un manque d'attention et — je déteste, je déteste vraiment ces conceptions qui n'en ont rien à faire de rien.
L'idée, la vraie idée derrière, c'était que m'accorder le droit d'être complexe sans avoir à dramatiser des explications et backstories me permettait de relâcher un peu l'anxiété qui devenait incapacitante. Ce n'est pas un manque de profondeur, quand bien même je l'ai exprimé un jour comme ça. C'était un vide que j'avais le droit de ne pas combler. Et le vide, ça peut être très profond. Et puis, aujourd'hui, la question de si je vais bien a perdu de son sens. Sans vouloir surjouer, j'ai traversé beaucoup de choses horribles récemment qui m'ont laissé dans un état bien pire que tout ce que j'ai traversé avant, quand bien même ce qui était venu avant était déjà sans joie. J'en garde des séquelles très importantes, mais pourtant, me revoilà sur pieds bien plus vite que ce que je pensais. La douleur n'a ni diminué ni disparu, je ne pense pas. J'ai toujours ce dégoût, j'ai toujours ces flashbacks vivides, surtout la nuit, mais il y a tellement d'autres choses autour, positives comme négatives, mais autres, que l'importance du trauma qui m'affecte à toute heure n'est juste, plus qu'un élément parmi d'autres, tout aussi impossibles à joindre à un ensemble cohérent.
Pour autant, ce n'est pas un silence malsain comme j'ai pu avoir parfois. Pas un refoulement, pas une tentative de faire à travers, comme si ça passerait si je n'en parlais pas. Au contraire, j'en parle. J'en parle comme je parle d'autre chose. C'est grave et il faut le reconnaître, mais l'exceptionalisme n'aide pas. C'est grave et banal, voilà ce que c'est. Une ôde à la vie au milieu d'un culte de la mort. Je ne sais pas en quoi je crois, c'est vrai. Je crois beaucoup et son opposé. Mais je suis là.
Dans la poitrine, un coeur au sang mielleux continue de battre au milieu d'un cratère qui n'abrite rien et le laisser ici le tuera sous les décombres quand tout s'effondrera
Pourtant le remplir est une illusion, un poison, qui l'endormira éternellement ; maintiens ce vide essentiel à présent en construisant autour et renforce la mort par la vie
Si sauvage quand je mords, si naturel quand il aime et si horriblement calme quand l'absurdité se niche dans nos yeux
2 novembre
17h37 - 18h45